"[...] Qui eût dit de ce bébé potelé, qu'il serait un jour l'objet de l'attention unanime de son pays? [...]" commentaire publié avec cette photo d'Ernest ANSERMET - provenant de la collection particulière du Dr. Fred BLANCHOD - dans la revue Radio Actualités du 15 octobre 1943, No 42, page 5, à l'occasion de son 60e anniversaire coïncidant avec les 25 ans de son Orchestre de la Suisse Romande
Ernest Ansermet (1883 - 1969) naît le 11 novembre 1883, à Vevey, rue des Bosquets No 5, d'un père géomètre - Gabriel Ansermet, qui cultivait l'art choral - et d'une mère institutrice, dans un milieu où l'on pratique la musique en famille - les Charoton, ancêtres maternels à Mont-la-Ville -, tous doués pour la musique. Souvenirs d'Ernest Ansermet:
"[...] Ma mère était musicienne, mon père avait une très belle voix; mais surtout ma famille maternelle, qui était faite de paysans de Mont-la-Ville, était une famille de paysans musiciens. Mon arrière-grand-père était chef de la musique militaire de Morges, et il descendait régulièrement de Mont-la-Ville à Morges, à pied, pour faire les répétitions de sa musique, armé seulement de deux morceaux de sucre, dans sa poche, et d'un carnet avec un pentagramme sur lequel il notait des motifs qu'il utilisait pour écrire des marches, des polkas, des scottish. Il avait sept fils qu'il avait formés à une éducation instrumentale. C'est-à-dire que chacun de ses fils jouait de deux instruments, un pour le bal et l'autre pour la parade. Dans mes années d'enfance, je passais tous mes étés à Mont la-Ville, souvent des étés très longs; c'est là que j'ai appris la clarinette avec un de mes oncles, et je jouais dans leurs bals, leurs musettes. [...]" [1]
Ernest ANSERMET âgé de 14 ans, en uniforme de la Fanfare des Cadets de Vevey - une photo publiée entre autres dans la revue Radio Actualités du 15 octobre 1943, No 42, page 5, à l'occasion de son 60e anniversaire coïncidant avec les 25 ans de son Orchestre de la Suisse Romande
À Vevey, le jeune Ernest apprend à jouer d'autres instruments. Souvenirs d'Ernest Ansermet:
"[...] D'autre part, j'avais appris à Vevey le piano et le violon, et je faisais partie de la Fanfare des cadets de Vevey où j'ai appris à jouer de tous les instruments de cuivre. C'est vous dire que j'étais dans la musique d'emblée! Seulement j'étais paresseux. Ce qui m'arrivait lorsque je devais travailler mon violon, c'est que j'accordais mon violon au piano, et à ce moment-là, je posais le violon de côté, et je me mettais à improviser au piano. Et quand je faisais des exercices, j'en faisais autant: j'aimais mieux improviser au piano que travailler la technique. Manifestement, il m'était impossible de gagner ma vie avec la musique, puis que j'étais dans un état pareil. Alors je me suis dit que le meilleur moyen, c'était de gagner ma vie dans l'enseignement des mathématiques puisque cela m'était très facile - j'avais une grande facilité de ce côté-là - et alors tu feras de la musique autre chose! D'ailleurs un de mes professeurs à Vevey, M. Plumhoff, qui était un musicien allemand très, très fort, avait consenti à me donner des leçons d'harmonie gratuitement en me disant: Je te donne ces leçons gratuitement, parce que je sens que tu es doué, mais à une condition: tu vas me promettre de ne pas devenir un musicien professionnel, sinon j'arrête les leçons. [...]" [1]
Après ses études secondaires, il se tourne pourtant vers des études de mathématique approfondies à Lausanne, tout en suivant des cours de musique dans sa ville natale. Suite des souvenirs d'Ernest Ansermet:
"[...] C'est ainsi que je suis arrivé, assez jeune, dans l'enseignement des mathématiques. À ce moment-là, c'était assez facile de faire une licence. J'ai pu faire ma licence en mathématiques et sciences physiques en deux ans. À 20 ans, licencié, j'ai immédiatement obtenu un remplacement à l'Ecole normale de Lausanne, un remplacement assez dangereux puisque j'avais 20 ans, et que mes élèves étaient des jeunes filles qui avaient aussi 20 ans...
Enfin j'ai été appelé au Collège, où je n'avais plus affaire qu'à des garçons. Et alors, au bout de trois ans, à peu près, j'avais économisé assez d'argent pour pouvoir me payer une année à Paris. À Paris (je vous raconte cela parce que ça peut intéresser les jeunes), j'ai fréquenté la Sorbonne, où je suivis des cours d'Appel, de Gourçat pour le calcul intégral et différentiel, de Poincaré, de Picard et d'Emile Borel. Et puis le Conservatoire, où je fréquentais des cours de contrepoint et d'histoire de la musique. Durant mon séjour à Paris, je me suis rendu compte que ma préparation en mathématiques était très en dessous de celle qu'exigeait la Sorbonne, et que je n'avais guère d'avenir dans ce sens-là. Et puis que ma passion pour la musique était beaucoup plus forte que celle des mathématiques. De sorte que je suis rentré à Lausanne, dans l'enseignement. [...]" [1]
Sur ce portrait d'Ernest Ansermet, je n'ai qu'une seule information: il était alors âgé de 18 ans, elle doit donc dater de 1901. La casquette qu'il porte est celle de la corporation étudiante de Zofingue, où il avait été admis en 1901
En mars 1901 Ernest Ansermet commence de correspondre avec Ernest Bloch, correspondance qui aura des hauts et des bas et se terminera en 1957, 2 ans avant la mort du compositeur. En 1903, Ernest Ansermet obtient sa licence ès sciences et mathématiques de l'Université de Lausanne, tout en ayant, trois ans plus tôt, publié sa première composition musicale, «Conte d'Avril», pour piano. Il commence d'enseigner à l'École normale de Lausanne. Souhaitant faire un doctorat, il décide de partir pour Paris. En 1905, année de la création de La Mer de Debussy, Ansermet séjourne donc à Paris, y fréquente la Sorbonne, pour les mathématiques, et le Conservatoire National, pour la musique (cours de contrepoint d'André Gédalge, cours d'histoire de la musique de Louis-Albert Bourgault-Ducoudray). Il ne réalisera toutefois pas la thèse quîl avait l'intention d'écrire:
"[...] Durant mon séjour à Paris, je me suis rendu compte que ma préparation en mathématiques était très en dessous de celle qu'exigeait la Sorbonne, et que je n'avais guère d'avenir dans ce sens-là. Et puis que ma passion pour la musique était beaucoup plus forte que celle des mathématiques. De sorte que je suis rentré à Lausanne, dans l'enseignement. [...]" [1]
Rentré au pays, il épouse en 1906, Marguerite Jacottet, amie d'enfance de C.F.Ramuz. Il a ainsi ses premiers cotacts avec Ramuz et son épouse l'introduit dans le milieu littéraire vaudois.
"[...] À Lausanne (encore un hasard) j'y suis rentré en automne 1906: le professeur d'arithmétique du Collège cantonal venait de mourir. Je postulai sa place, un concours eut lieu, et j'eus la chance d'être nommé. Je me suis marié peu après, jeune, et c'est à ce moment-là que j'ai fait la connaissance de Ramuz: ma femme - ma première femme - était une amie d'enfance de Ramuz qu'elle me fit rencontrer. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je n'avais qu'une envie, c'était de composer de la musique; alors nous formions des projets: Ramuz m'envoyait des petits poèmes de Paris, et je les mettais en musique, nous avions une correspondance très suivie. [...]"[1]
Ernest Ansermet en 1911 (certaines sources indiquent 1906. mais - vu la barbe... - 1911 est plus plausible) - une photo publiée entre autres dans la revue Radio Actualités du 15 octobre 1943, No 42, page 5, à l'occasion de son 60e anniversaire coïncidant avec les 25 ans de son Orchestre de la Suisse Romande
Avril 1906 marque le début d'une correspondance avec Francisco de Lacerda, qui durera jusqu'en janvier 1931. De 1906 à 1910 il collabore à la revue genevoise «La Voile latine». L'année 1907 est marquée par le décès de son père et la naissance de sa fille Anne-Jaqueline (12 décembre), ainsi qu'en juillet par un séjour à Paris, où il rencontre Romain Rolland. De 1907 à 1914, il a de fréquentes rencontres avec Ernest Bloch. Décembre 1908 marque le début d'une correspondance avec C.F. Ramuz, qui s'étendra sur 34 années, jusqu'en 1941.
Dans ces années, Ernest Ansermet se décide à se concentrer sur ses études de musique. En 1909, nouveau départ, cette fois pour Munich et Berlin, où il assiste aux répétitions et concerts de Felix Weingartner, Richard Strauss, Felix Mottl, Arthur Nikisch. À Berlin il prend des leçons chez le timbalier de l'orchestre Blüthner, ce qui lui donne la possibilité de tenir quelques fois la partie de batterie avec cet orchestre. De retour à Lausanne, il vit toutefois de l'enseignement et de sa plume de critique musical: il hante avec assiduité les concerts symphoniques du chef-lieu et rédige nombre de comptes rendus destinés à la «Gazette de Lausanne» et à «La Vie musicale». "[...] Malgré sa jeunesse et son inexpérience, il porte des jugements que ne désavoueraient pas des publicistes chevronnés. Il le fait dans une langue claire et vivante, sachant distinguer l'essentiel et laissant pressentir le talent de l'artiste capable de dominer souverainement l'oeuvre qu'il analyse [...]" Jacques Burdet.
En mars-avril 1910, à nouveau à Paris, il assiste à la première audition des «Rondes de Printemps» de Debussy, le 2 mars aux Concerts Durand, et est présenté au compositeur à l'issue du concert.
(1) cité d'une longue causerie, savoureuse, pleine de souvenirs et d'anecdotes, tenue le 15 mai 1965 à Chambésy, où Ernest Ansermet était invité par son médecin et ami le professeur René S. Mach.
La suite sous «Débuts comme chef d'orchestre»...