Illustrant l'en-tête: extrait d'une photographie faite par Fritz Eschen, 10.02.1950, Aufn.-Nr.: df_e_0054534, Eigentümer: SLUB / Deutsche Fotothek
Portraits de Bela BARTOK et Ferenc FRICSAY à gauche et à droite: cliquer sur les photos pour une vue agrandie resp l'original et leur référence exacte
Sur cette page: rien à télécharger!!
>> Audio à écouter sur une plateforme externe!! <<
Bela BARTOK
Divertimento pour cordes, Sz 113
Orchestre de Chambre de Lausanne
Ferenc FRICSAY
19 novembre 1951, Théâtre Municipal de Lausanne
À nouveau un enregistrement vraiment historique, préservé grâce aux archives de la Radio Télévision Suisse! Ferenc FRICSAY conduisait l'Orchestre de Chambre de Lausanne lors d'un concert donné le 19 novembre 1951, avec des oeuvres de Mozart - Serenata notturna, KV 239 -, Bartok - Divertimento, Sz 113 -, Rossini - Sonata III in Do maggiore No. 3 - et Haydn - Symphonie No. 101, «L'Horloge» - au programme.
Il était alors en tournée en Suisse Romande, venait de diriger avec succès le Fidelio de Beethoven au Grand Casino de Genève: "[...] Au pupitre : M. Ferenc Fricsay, de l'Opéra de Berlin. Cet artiste, que nous entendions pour la première fois, s'est révélé un chef d'une réelle autorité, au métier très sûr, plus apte sans doute à affirmer les côtés dramatiques et vigoureux d'une telle oeuvre qu'à dégager son émotion pénétrante. Il tint en outre tout son plateau remarquablement en main, et sut donner du mordant à nos choeurs. [...]" Franz Walter dans le Journal de Genève du 7 novembre 1951 en page 7.
Ferenc FRICSAY, photo de presse DGG
parue entre autres sur la pochette DGG LPM 18 580-82
Le Divertimento est l’une des dernières partitions que Bela Bartók composa en Europe, avant son exil aux Etats-Unis. En novembre 1938, il avait reçu une commande de Paul Sacher, le chef d'orchestre et philanthrope bâlois, assortie d’une offre généreuse: le prêt d’un chalet à Saanen (Gessenay), près de Berne, où il pourrait composer en paix.
Après une tournée de concert internationale frénétique dans la première moitié de 1939, Bartók peut enfin accepter l’invitation de Sacher. Il commença donc de travailler à cette commande au début d'août 1939: malgré le confort de travail dans ce chalet, les quinze jours que dure la composition du Divertimento plongent le compositeur dans l’angoisse de la guerre prochaine, qui hantait depuis plusieurs années cet antifasciste et antimilitariste de la première heure. Bartók déclara à propos du titre: «Divertimento désigne une musique angoissante car elle fait ressentir l'angoisse de l'auteur qui doit retourner à la guerre».
Il écrivit à son fils: «Je me sens en quelque sorte comme un musicien de l’ancien temps, invité de mon mécène. Car tu sais que je séjourne ici en étant entièrement l’invité des Sacher, qui s’occupent de tout - de loin [...]. Ils ont même fait venir de Berne un piano à mon intention [...]: je dois travailler. Et justement pour Sacher lui-même: une commande (quelque chose pour orchestre); et à cet égard également ma situation ressemble à celle des musiciens du passé. Par chance le travail a bien avancé, j’en suis venu à bout en 15 jours (une pièce d’environ 25 minutes), j’ai justement terminé hier».
À propos du chalet des Sacher, il précise: «Cette maison ne leur appartient pas, ils la louent depuis les événements de septembre dernier, à toutes fins utiles». Conscient des périls de la guerre qui monte, il écrit aussi à son fils, dans la même lettre: «Cela ne me dit rien que tu veuilles partir pour la Roumanie; ce n’est pas une bonne idée d’aller, à une époque aussi peu sûre, dans un pays aussi peu sûr».
L'oeuvre fut donnée en première audition le 11 juin 1940 par l'Orchestre de chambre de Bâle dirigé par Paul Sacher. Après le concert un critique écrivait: «En repensant à ce concert, il nous semble à présent irréel et fantomatique. Est-ce que les forces créatrices qui s’agitent ici seront en mesure de survivre face aux forces d’anéantissement déchaînées, à la violence qui conduit à l’extermination totale de la vie?» Quelques mois plus tard, Bartók quitta l’Europe pour les Etats-Unis, définitivement.
"[...] Pour une pièce composée en des temps aussi troublés, le Divertimento semble à première écoute d’une gaieté et d’une légèreté inhabituelles. Bartók déclara qu’il songeait à «une sorte de concerto grosso», et l’orchestration oppose un quatuor soliste à l’ample masse des cordes, d’une manière assez XVIIIe siècle. Mais la ressemblance s’arrête là. Le Divertimento est une oeuvre très originale dans son langage unique, et il ne s’agit nullement d’un pastiche néo-classique. Le premier mouvement adopte la structure d’une forme sonate dans un climat léger, insouciant; le second est un sombre Adagio en quatre sections (dont la première et la dernière correspondent à la forme en arche que Bartók aimait tant), tandis que le finale est un rondo enjoué, qui inclut sans effort, en son centre, une double fugue. [...]" cité d'un texte de Wendy Thompson.
L'oeuvre est en trois mouvements, le premier est dansant, sur un rythme obstiné, caractérisé par la virtuosité des instruments qui se répondent, le second est d'un climat tragique, avec les contrebasses, violoncelles, altos, avec sourdines, le dernier est à nouveau dansant, «folklorique» (Pizzicatos secs, avec l'archet «sur la touche» et glissandi):
"[…] Le Divertimento repose sur l’organisation du concerto grosso de l’époque baroque, dont s’inspire nettement Bartók, dans un style néo-classique avec une référence au passé peu courante chez lui : un groupe de solistes, appelé «concertino», dialogue avec l’ensemble des cordes, le «ripieno». Les trois mouvements s’organisent en suivant l’alternance habituelle vif-lent-vif. L’oeuvre est construite sur des rythmes de danses populaires et des thèmes d’allure modale.
Le premier mouvement est allegro non troppo. Le thème, joué par les premiers violons, s’installe sur un ostinato rythmique martelé dans la nuance forte aux contrebasses, violoncelles et altos. [...]" cité du texte de Bruno Guilois publié sur cette page - du site de la Philharmonie de Paris.
Le mouvement lent central - molto adagio de climat assez tragique, construit sur un élément chromatique que l'on entend aux instruments les plus graves, avant que n’apparaisse le thème proprement dit, joué par les violons - contraste beaucoup avec les 1er et 3e mouvements, en installant "[…] une atmosphère lourde au moyen d'un contrepoint fièvreux entre les violons et les contrebasses, à la manière du mouvement central de la Musique pour cordes, percussion et célesta. Il est interrompu par des notes de plus en plus résignées qui alternent avec des notes de plus en plus stridentes. Il se poursuit par un thème que Ferenc Fricsay lisait comme un "effondrement dans le désespoir". […]" cité de cette page de Wikipedia
"[...] Le troisième mouvement est un rondo, indiqué allegro assai, qui adopte des rythmes de chants populaires, bien connus de Bartók, dans un tempo enlevé et dansant faisant la part belle au dialogue entre instruments solistes et orchestre. Ce dernier mouvement conclut l’oeuvre en contrastant avec le mouvement central à la fois par son tempo et son caractère.[…]" cité du texte de Bruno Guilois référencié plus haut.
Le 19 novembre 1951, Ferenc FRICSAY dirigeait donc le 3e concert d'abonnement de l'Orchestre de Chambre de Lausanne:
Extrait de la Gazette de Lausanne du 17 novembre 1951.
Le concert fut diffusé sur l'émetteur de Sottens le surlendemain, 21 novembre 1951, dans le cadre du traditionnel concert du mercredi soir.
Il fut commenté dans la Gazette de Lausanne du 22 novembre 1951, par le chroniqueur "Ed. H." - probablement Edouard Henriod:
"[...] Ferenc Fricsay, chef du «Rias-Symphonie-Orchester» et directeur général de la musique de l’Opéra de Berlin, conduisait ce dernier concert. Il a largement partagé son succès avec les musiciens qui ont épousé ses intentions avec cette souple soumission, cette commune intelligence qui témoigne éloquemment de l’excellence de l’instrument. Si Ferenc Fricsay a paru satisfait de son orchestre, peut-être avons nous été un peu moins enchantés de sa direction autoritaire et un peu tendue qui mit parfois une barrière entre la musique et nous. Sans insister sur une «gestique» un peu fatigante qui ploie ou déploie une puissante stature au gré de contrastes, sans trop parler d’un talon métronome (c’est le résultat qui importe), nous aurions aimé retrouver, dans certaines musiques, l’abandon discipliné qui est une des grâces de l'O.C.L. Le remarquable chef , dont il faut louer la clarté et la précision, a fait jouer l'O.C.L. plus qu’il n’en a joué; nous sommes accoutumés à plus de liberté, gâtés que nous sommes. Voilà probablement pourquoi notre plaisir ne fut pas complet alors que notre intérêt ne faiblit point.
Car le programme de Ferenc Fricsay nous apportait beaucoup. Il était presque entièrement consacré à l’orchestre à cordes et nous faisait entendre, côte à côte, des musiques de chambre quasi inédites.
La Sérénade No 6 (Serenata notturna ) de Mozart, enjouée et spirituelle, était une révélation pour beaucoup, il ne faudra pas l’oublier lors d’un concert d’été. Deux violons principaux y mènent le jeu. Andrée Wachsmuth-Loew et Adolphe Maudeau le conduisirent avec une égale allégresse, dans une sonorité assez différente. Cela nous permit d’apprécier la belle autorité de l’une et la discrétion mozartienne de l’autre, ce qui fait un duo très vivant. Avec la «Sonata per due violini, violoncello et contrebasso» de Rossini, nous retrouvions Mozart, le voisinage est toujours savoureux. La «revision» de la Sonate par Alfred Caselia, la meubla avec beaucoup de goût et d’adresse; il ne serait pas indifférent de l’entendre dans sa forme dépouillée. La combinaison sonore est imprévue, l’invention est d’une délicieuse facilité, la virtuosité demeure plaisante jusqu’au bout. Andrée Wachsmuth-Loew, Rose Dumur-Hemmerling, Paul Bürger et le contrebassiste Gut pour qui son instrument est une pochette furent les heureux protagonistes de l’oeuvre charmante et tout l’ensemble en défendit allègrement le sourire.
Le «Divertimento» pour orchestre de chambre de Bela Bartok date de 1939. L’on n’a pas à chercher si elle s’inspire des espoirs ou des détresses de l’année tragique, on n’a qu’à goûter son exceptionnelle sincérité qui se traduit aussi bien par les parfaites proportions de l’oeuvre, que par son admirable langage. Bartok sait là tout ce qu’il veut dire et tire des cordes tout ce qu’on en peut tirer. L’oeuvre, à laquelle Ferenc Frlcsay a donné un relief saisissant, donne mieux que d’autres la mesure d’un talent auquel il n’est pas toujours possible de rendre justice. Le «Divertimento» est digne d’être un des monuments de la littérature d’orchestre de chambre; il sera bon de le rappeler souvent.
La Symphonie en ré mineur «die Uhr», de Haydn, terminait le concert. Cette façon de conclure me laisse encore perplexe, l’oeuvre d’envergure est-elle bien là à sa place? Ferenc Fricsay l’a faite un peu longue, pour des motifs qui auraient semblé les plus honorables en début de soirée: rigueur des mouvements, minutie du détail, respect de la tradition. Certes, l’adorable symphonie se suffit à elle-même, sa fraîcheur est intacte, mais il faut encore entretenir cette fraîcheur en renouvelant la spontanéité de l’oeuvre et en lui restituant son sourire. «Die Uhr», en ne venant pas à son heure, en donnant trop de poids au moment qui passe, pourrait être méconnue. On s’en gardera bien!
Ed. H. [...]" cité d'une chronique parue dans dans la Gazette de Lausanne du 22 novembre 1951 en page 5
À ne pas oublier: cet extrait est rendu disponibles grâce aux splendides archives Le Temps, consultables LIBREMENT sur la toile, une générosité à souligner - et un point commun avec les archives de la RTS!
Pour écouter l'interprétation du Divertimento de Bartok CLIQUER sur les minutages ci-dessous - en début de ligne (ouvre une fenêtre sur l'archive de la Radio Télévision Suisse, au début du passage concerné - les audios du site de la Radio Télévision Suisse ne sont - hélas... - qu'en mp3 128 kbps, mais - vu la rareté du document - c'est mieux que rien du tout!): il s'agit d'une rediffusion récente, dans le 2e volet de la série de 10 émissions que François Hudry a réalisé pour les 75 ans de l'OCL
00:38 (0038) Ferenc FRICSAY et Bela BARTOK, courte présentation par François Hudry
01:31 (0091) Bela BARTOK, Divertimento pour cordes, Sz 113, Orchestre de Chambre de Lausanne, Ferenc FRICSAY, 19 novembre 1951, Théâtre Municipal de Lausanne
Ses différentes parties:
En cliquant sur les minutages, donnés ci-dessus en début de ligne, vous pouvez (ré)écouter directement la partie concernée (ouvre une fenêtre sur l'archive de la Radio Télévision Suisse, au début de cette partie).
CLIQUER ICI pour écouter le deuxième épisode des «75 ans de l'OCL» depuis son début: ce volet était consacré à des oeuvres de Bela Bartok - Divertimento Sz 113 -, Francis Poulenc - Concert Champêtre, FP 49 -, Darius Milhaud - Les Charmes de la vie -, Arthur Honegger - Pastorale d'été - et Frank Martin interprétées par des solistes et chefs invités.
Bela Bartok, date ??, photographe ?? si une personne visitant cette page devait en savoir plus, toutes informations m'intéressent -> Vos remarques!